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Lecture de "Renouées" par M. H. Prouteau

Dernière mise à jour : 27 oct. 2020

Voici un beau livre des éditions du Petit Pois qui associe les textes d’Amandine Marembert et de Luce Guilbaud et une douzaine de monotypes de celle-ci. D’emblée, la couverture, un de ces monotypes colorés et le titre « Renouées » donnent le ton par leur lumineuse simplicité. Le livre porte témoignage d’une belle rencontre entre ces deux femmes, l’une peintre et poète qui a écrit une œuvre poétique importante, une quarantaine de recueils au Dé Bleu, La Bartavelle, Bernard Dumerchez, Soc et Foc, Rougier, La Renarde Rouge, Contre-Allées, Tarabuste, Henry, la seconde qui codirige la revue Contre-Allées et a publié des poèmes à La Porte, Carnets du Dessert de lune, Polder, Henry, Wigwam, L’Idée Bleue, La Yaourtière, Le Chat qui tousse.

Monotype de Luce Guilbaud extrait de "Renouées"

La composition de l’ouvrage fait écho à cette rencontre amicale au travers d’une mise en abyme singulière et émouvante. Le premier texte, « Renouée »  d’Amandine Marembert, renvoie, comme en hommage, au texte, « Cœur antérieur » de Luce Guilbaud. Celui-ci, publié au Dé Bleu en 1998, est repris pour l’occasion. Témoin de la vibrante empathie qu’il a suscitée entre elles. Ainsi se trouve en quelque sorte mis en scène le don du poème fait par Luce Guilbaud à son amie dans la peine.

Le titre dit l’obstination à vivre dans l’image récurrente de cette plante qui ne cesse de faire courir ses longues tiges ramifiées. Renouée grimpante ou renouée des oiseaux, c’est la belle vivace débordante de vie.

Femmes au jardin, pourrions-nous dire en lisant les poèmes d’Amandine Marembert qui évoque la complicité des deux amies :

« Deux chaises et des doigts rapprochés » […] « le grenat du prunus »[…] « le portail blanc ouvert » […]

C’est un monde en peu de mots, petits gestes accomplis ensemble qui apaisent, le linge étendu, la main qu’on prend, l’échange de regards complices, un sourire simplement ou ce futur qui pointe doucement dans l’italique :

« on ira voir la mer »

Car la douleur est là, vive et inentamée. En témoigne cette couleur rouge qui frappe dans les monotypes de Luce Guilbaud comme dans les poèmes d’Amandine Marembert :

« tu me confies ton cœur antérieur pour que je le garde bien au chaud dans mes mains amicales je prendrai soin de son rouge battant d’un cil bien vivant »

Ainsi finit ce premier texte sur une tonalité d’espoir :

« il faudra réparer la mémoire »

Vies croisées dans cet échange féminin profond.  Au-delà des reprises d’un texte à l’autre, le motif végétal de la renouée ne cesse de mettre en réseau, en lien, douleur, solitude et renaissance des deux femmes. Le texte de Luce Guilbaud, « Cœur antérieur », construit en trois temps, « Rive », « Ronces », « Renouée » est marqué par une écriture du tressaillement toute en délicatesse et gravité :

« je me suis retrouvée sur la rive entre ronces et récifs avec cette voix levée d’entre les vagues »

L’épreuve de la maladie et de la mort possible, pudiquement évoquée à travers les mots d’une autre vie, inouïe, inacceptable, celle de l’« anarchie des cellules » et des « flèches irradiées », se fait étoile noire au cœur du poème. Le texte de « Ronces » prend ainsi une coloration sombre et superbe dans ce dialogue avec la machine, « le cyclope de fer », ses « faisceaux de rayons noirs » et « les repères du métal qui fouille et tord et brûle ». Il fallait cette métaphore des ronces, image forte pour dire ce qui meurtrit, déchire et ravage les chairs :

« lorsque les ronces ayant quitté leur territoire de chair et d’os reviendrait le temps où je serais lisse et muette entre les vagues de vie sur une barque vers l’île. »

Alors, en contrepoint, peut se déployer la métaphore de la troisième partie, intitulée « Renouée ». Quels méandres emprunte la vie ? Quelles cordelettes invisibles a tissées de nœud en nœud cette plante vivace qui symbolise la vie ? Moments de lucidité sereine pour la récitante :

« C’était la ronde des bras les envols d’éperviers les soupirs carnassiers […] on y laisse chaque fois un peu de peau »

Le « tu » s’adresse aussi bien à elle-même qu’au compagnon, probables trébuchements où le « je » qui a traversé cette épreuve doute de son identité :

« De ton front à mon front distance mots emportés  mal dits dans les violences du soir »

N’est-ce pas dire que la maladie, malgré tout, isole dans son irréductible vécu ? Plus forte que tout, heureusement, l’exigence que le « je » meurtri se doit à lui-même, qui va l’obliger à sortir de cette solitude et à renouer avec des petits morceaux de vie :  

« Etre femme   n’être qu’une femme naître femme bras larges tête têtue  cœur délacé […] chaque jour cette écriture du vide à nourrir »

Un appel de l’écriture, un point d’obstination. Envers et contre tout, les poèmes de Luce Guilbaud gardent les gestes simples de la nature et la mémoire des moments de connivence sensuelle :

« Quand tu me tiens contre toi j’entends chanter les bois s’ouvrir les clairières au centre de ma chair caresses de mousse […] mais la lumière vibrant sur la neige entrave l’avenir accords toujours à reconduire »

Ce n’est pas chose aisée que d’écrire à quatre mains. Il faut être disposé, s’effacer devant l’autre, tâtonner dans son intimité. Luce Guilbaud a déjà réussi cette belle expérience avec son amie poète du Québec, Danielle Fournier dans le recueil Iris. « Renouées » nous offre une création à deux voix qui tresse délicatement les fils des mots, des couleurs et des formes. À rebours de la vie empêchée, c’est le chant d’une double renaissance. M. H. Prouteau dans Recours au poème


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