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Lecture de "D'ici à plus loin" par Christiane Parrat


Ça a commencé, là-bas, sur "Terres de Femmes", la revue littéraire d'Angèle Paoli. En éclaireur, elle avait offert à ses lecteurs un fragment du livre d'Arnaud Savoye. Un livre tout nouveau-né. C'était si beau cette écriture que j'ai vite commandé le livre pour comprendre "l'ombre"... Je l'ai reçu ce matin. Plaisir de retrouver le travail de ciseleurs de Véronique et David Zorzi des éditions du Petit Pois. Un livre à toucher, à humer, à feuilleter pour entrer dans une atmosphère d'écriture. Des blancs entre les textes qui isolent les lignes d'écriture, l'aèrent. On ne peut plus lire comme à l'ordinaire. La lecture doit ralentir ou accélérer. "La page vide se remplit" inégalement. Je devine l'échange entre le poète et son éditeur, cet apprivoisement réciproque si délicatement rappelé dans la préface.

Je découvre sur la couverture une photo très belle. Un enfant hypnotisé par la beauté du monde, au bord d'une rivière, hésitant, pris dans les filets d'une lumière qui coule sur les eaux scintillantes d'une rivière. Qui est cet enfant ? "Ce peut-il que l'enfance témoin redevienne au plus vite enfance, fille des éléments ?" Témoigner de l'enfance de la rencontre entre les mots et le verbe ? Trois parties, semble-t-il. Première marche : "A fenêtre ouverte".

Arnaud Savoye, chasseur de mots papillons, "échappés, séparés, perdus, dispersés, déguisés"...

Je retrouve ces lignes qui m'ont happée sur TdF. Il cherche, en aveugle, mains tendues. "La cécité gagne aux pays voilés du moi". Il cherche en lui, loin, profond, jusqu'au silence. "Extension de l'intérieur". Quoi s'est perdu ? Quoi s'est brisé ? L'écriture est vibrante, limpide, m'étonne par sa transparence, glisse entre son "monde intérieur" et le lecteur "une fenêtre".

Je roule avec les mots perdus jusqu'à la deuxième marche : "Pieds et pas liés pour quelques traces". Le ton change. Un mois a passé. Ça commence un matin, "une entrée dans le matin". "Aller vers la lenteur" écrit-il, vers "le calme intérieur". Il se "glisse... à l'intérieur de l'arbre" et reçoit le monde avec tout son corps. "Ses pieds de marcheur se souviennent"... des traces. Tout n'est pas dit mais ce qui est écrit ici entre dans le coeur du lecteur. Risquer les mots. Risquer l'édition. Risquer la lecture... Ecrire l'ouvert. Pénétrer dans l'impossible parole qui foudroie et met au monde. Les mots reconnus investissent la blancheur lisse des pages. L'écriture s'apaise, essaime des paroles de froment... Prend racine. Va vers l'autre.  Arnaud Savoye traverse sa vie en la portant comme un trésor fragile.

Chaque partie du livre a une ligne mélodique différente. Lyrisme de celle-ci succédant aux sons doux et feutrés de la première. En prêtant l'oreille on entend les mots naître... puis se fondre comme pollen dans le vent. C'est un temps de contemplation qui nous conduit à "la fraîcheur de la nuit". Temps rassurant pour faire "mourir sa journée", pour que les pas "s'arrêtent". Les mots l'éclairent depuis son dedans.

Troisième marche : "Si proche du sol si proche du seul".

Le seuil, "lien terrestre entre l'accueilli et l'hôte"... "Seuil passage ou chacun est initié"... mais seuil aussi "si proche du seul", de l'exclu, de l'oublié...

"Seuil, où, / où es-tu ? / Où es-tu / seuil humain ?"... "Si proche du sol, / si proche du seul ?"

C'est peut-être la partie du livre où apparait avec le plus d'insistance le thème essentiel de l'oeuvre d'Arnaud Savoye : le désir de la rencontre de soi à soi, de soi à l'autre. Elle rassemble tous les maux-dits et les mots tus, tués, broyés. Bouleversant. C'est un effort immense cette écriture, une porte ouverte, "des pieds d'homme debout... une marche en avant... jamais à reculons"...

Une vie solidaire et solitaire qui se transforme en écriture, fragments d'une méditation où les mots ont retrouvé le verbe... Merci Arnaud Savoye pour ce très beau livre et merci aux éditions du Petit Pois, qui, une fois encore nous offre un livre rare. © Christiane Parrat, août 2011.

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