La lecture de ce petit recueil procure, selon moi, une sorte de dépaysement jubilatoire.
L’on y suit trois personnages : « le » fou, être énigmatique qui deviendra bientôt familier (tout au moins dans une certaine mesure), la grand-mère, qui assure la fonction rassurante du raisonnable bienveillant, émanation d’une sagesse populaire ancestrale (« tel qui rit vendredi dimanche pleurera, disait la grand-mère en repassant les serviettes de table »), et la voix locutrice qui, en bas de page, offre un contrepoint à chaque tableau, dans une tonalité un peu différente à chaque fois, parfois grave mais souvent très espiègle.
Car l’espièglerie est bien le mot qui caractérise de manière indubitable ce texte qui fait presque toujours appel à la merveilleuse fantaisie de l’enfance. Notamment avec ce personnage de fou qui s’apparente souvent à un pantin : « des idées en dents de scie lui assaisonnent le cou // oh les insensées / auraient pu faire gaffe à ne pas te décapiter // qu’à cela ne tienne le fou se revisse la tête », ou à un personnage de cirque et plus précisément à un clown : « le fou se grattouille la gorge à qui mieux mieux / ouvre grand la bouche / extirpe un chapelet de toutes jeunes hirondelles » puis « se flanque une calotte en pleine tronche ». On pense aux inventaires à la Prévert : « le fou en verve exclamatoire cherche auditoire / interpelle le tout-venant / veaux vaches cochons / corbillards / misanthropes / pélicans », et à certains tableaux de Magritte : « une chaise volante / ce n’est pas si fréquent / le fou soupire d’aise les yeux plissés en éventail // que fait ma tête au-dessus de l’horizon on dirait la lune en vadrouille ». Le tout en mouvement rapide comme dans un film de Jacques Tati.
Ceci n’exclut pas les moments de contemplation : « en mille morceaux le ciel dans les flaques / bleus en bris blessent la plante des pieds du fou ». Cependant il semble que, par une sorte de pudeur non formulée, il ne faut surtout pas s’y attarder : « il saisit les crocs des eaux en vrac // à coups de talon crève les yeux des flaques //aië ouille ». Il y a à peine plus de place pour l’introspection : « le fou est saisi du doute de lui-même / est-il lui ou un autre / ? / hop / à pieds joints fait volte-face ». Celle-ci est présente néanmoins dans le contrepoint à la tonalité par instants mélancolique : « assise sur un banc je pâtis d’une mémoire en poire qui goutte son jus d’amnésie / où sont les origines » ou « assise sur un banc je taille la part de solitude des mots de tous les jours ». Jouer avec l’absurde peut être une façon fort pudique de faire sentir à quel point le rire voisine avec la gravité : « tournoyant sans trêve ni repos dans l’arrachement des lois physiques // et le rire en débâcle ».
Il est offert au lecteur un bain de langage : partout, « la langue tangue des vagues de roule ma poule ». Avec beaucoup de jeux de mots et un usage ludique et presque gourmand du vocabulaire, parfois familier, des expressions toutes faites et déformées à loisir, ou des comptines enfantines un peu décalées et qui reviennent souvent. Il peut même y avoir quelques entorses à la grammaire : « allez mes mignonettes faisez pas les effarouchées / chantez à bec ouvert la ritournelle des petites marionnettes » et un prosaïsme choisi : « savez bien qu’après la parade rappliquent les ombres bientôt le croque-mort à tête de linotte / il pisse fermez les écoutilles ».
Un petit pont de légèreté plein de fraîcheur et de fantaisie, jusqu’au pied-de-nez final. Voilà qui est précieux pour faire oublier un moment la lourdeur et la gravité de l’actualité. Elles font de la lecture de ce petit livret élégant et soigné de la collection Prime Abord un moment assez enchanteur.
Calou Semin
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