EdPP : Ton recueil « Cévennes à contre-temps » pose dès le titre les thèmes de l’espace et du temps ; pourrais-tu nous expliquer le choix de ce titre ?
Stéphan Causse : Le titre s’est imposé à moi dès le commencement du recueil, ce qui peut paraître surprenant, puisque généralement un titre se dessine en cours ou dans l’achèvement du texte.
Pourquoi ce choix ?
Je suis ancré dans ces « Cévennes » où je savoure la sensualité de cet espace, y compris dans les travaux inhérents du quotidien : faire du bois, le jardin, remonter des murs, nettoyer de vieux bassins… marcher beaucoup également dans ces châtaigniers et ce granit mais aussi ne rien faire, contempler, rêver… en fin de compte, cela constitue également une écriture, l’écriture des choses et de soi dans le va-et-vient de cet océan minéral et végétal. C’est pourquoi sentir le temps qui passe ou ne passe pas, ou pour le dire autrement sentir le temps contre « le temps » est une réelle exégèse du livre des « Cévennes » ; nous sommes dans un paysage qui n’en finit pas de nous renvoyer à notre propre fragilité et étonnement, cette beauté qui se donne là, en permanence, et qui nous regarde. Il faut tenter de la comprendre pour mieux l’assumer et donc la vivre.
Ta langue s’affirme dans ces pages, pourtant tu écris « nulle langue ne dira / l’arbre » ; quel est donc ce chemin de poésie que tu empruntes ? Est-il teinté de pessimisme ?
Nul pessimisme dans ce vers. Ce n’est pas le sujet. Le verbe « dire » est à questionner. En effet, dire « la langue de l’arbre », c’est interroger le lieu d’une parole qui tente d’habiter, de rendre compte de l’élément. Il faut résoudre ce paradoxe : trouver un langage qui dit l’arbre et qui ne disparaît pas en le disant. C’est un défi de l’écriture poétique : dire l’arbre, c’est le vivre.
Je peux prendre un exemple plus concret peut-être : quand je refends du bois (activité très banale ici), je dialogue avec le tronc, j’interroge sa veine (c’est-à-dire sa fragilité qui est aussi la mienne) afin de le couper en souplesse et sans violence dans le respect de ce qu’il est. Et puis, c’est moins fatiguant pour mon dos…
Quels sont les poètes qui t’ont ouvert ce parcours d’écriture ?
Je lis beaucoup depuis longtemps. Je pourrais donner une liste non exhaustive d’écrivains, de poètes, d’artistes…qui me portent et me nourrissent. Mais est-ce bien intéressant ?
Pour paraphraser Nietzsche, je dirais que « les poètes n’ont pas la pudeur de ce qu’ils vivent, ils l’exploitent… » ; on écrit de toute évidence avec ce qu’on est, c’est-à-dire avec notre vécu et notre corps qui surgissent souvent à l’improviste et bien malgré nous. L’écriture demeure un aveu involontaire de son auteur, et parce qu’il est involontaire, il est juste, et ne se complaît pas dans l’impudeur et le trucage d’une autofiction. J’assume ce propos polémique mais finalement, ce que je dis est bien inoffensif… Si le lecteur doit trouver une filiation avec tel ou tel poète, je dis tant mieux et cela au fond le regarde, ce qui m’intéresse : c’est que le lecteur désire le mouvement de lui-même, qu’il se mette en marche vers son ailleurs.
La présence des éléments naturels s’impose dans ce texte, les Cévennes bien sûr ; comment ce paysage que tu habites rejoint-il ton écriture poétique ?
En répondant à cette dernière question, je rejoins la première. L’expérience physique quotidienne dans les éléments est une écriture de soi avec le pays ou une écriture du pays avec soi ; cette région des contreforts de l’Aigoual est sans cesse travaillée par l’ombre et la lumière, le chaud et le froid, les pluies torrentielles et les tempêtes. La montagne permanente est un navire qui ne fait jamais naufrage, ainsi habiter ce paysage c’est aussi et surtout l’écrire, et pour le coup le travail de l’écriture comme les travaux des paysans bâtisseurs est un travail manuel, et au fond passer de l’un à l’autre, aussi étrange que cela soit, reste assez « naturel ». Une de mes amies poète, grande passionnée de jardin, me dit toujours : « voir c’est faire », et bien : voir, faire, écrire, vivre… c’est un programme qui me convient assez.
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