Les éditions du Petit Pois : Quel est le projet de ce livre ?
Raluca Maria Hanea : L’écriture a commencé en 2012 lors de ma découverte des lumières du sud de la France, du côté d’Estérel. J’ai perçu là-bas une vibration particulière, un foisonnement que je voulais verbaliser.
Au début la consignation des quelques jours passés là-bas, un peu dans la veine de Pierre Bonnard qui peignait de mémoire, mais après avoir enregistré avec précision les humeurs, les couleurs propres à chaque jour. Les mots, que je me figure avec leur champ magnétique propre à chacun, balisaient les constats du réel. Il en résultait une matière que j’ai coupée et concentrée pendant deux ans de façon à ce qu’elle devienne porteuse, dans ses parties comme dans son ensemble, de cette vibration que j’ai ressentie au tout début.
Je voulais créer des unités de texte phonétiquement et sémantiquement non contraintes, comme si c’était aussi de leur propre gré qu’elles participaient à l’écriture. Il s’agissait de rester fidèle à un souffle qui venait maintenant du texte lui-même. C’était pour moi la partie la plus importante et j’ai trouvé un grand appui dans les écrits de Giacometti, ainsi que dans la musique classique.
Quel rapport ton écriture entretient-elle avec le cinéma ?
Le cinéma, comme la peinture et les écrits des peintres et des cinéastes sont des articulations précieuses.
Aussi, je voulais que chaque partie du texte, chaque page, soit indépendante au sein de l’ensemble, tels des photogrammes et des séquences. Chaque avancement se nourrit des précédents et engendre les suivants dans un continuum que j’ai en quelque sorte pris en route. Je n’aurais pas pu écrire un recueil de poèmes ayant chacun un titre et une langue différents. Le cinéma, comme la peinture, me fascinent par le pouvoir du regard faisant exister une image dans tous ses détails, mais dont on ne saisit qu’une partie sans que pour autant sa force, sa présence, diminuent.
Pourrais-tu nous expliquer à quel principe obéit la diffusion de la parole sur la page ?
Je tiens beaucoup à l’aspect de chaque page, au corps physique de l’écriture. D’ailleurs, le texte a le corps en son centre, le corps comme existence pleine de l’être dans ce qu’il a d’impersonnel, le corps inconsciemment pris dans les jeux de l’altérité. Je ne voulais pas parler de personnes, mais d’occurrences, le Nouveau Roman et Agota Kristof ont été d’un grand secours.
Voilà pourquoi les pronoms m’ont semblé les moins résonants et les plus contraints. Instinctivement, je les ai placés du côté gauche, en tête de la ligne de lecture. Dès que l’on commence à lire, un désir d’empathie dénature à mon sens la lecture. En fonction du pronom utilisé, on s’attend toujours à quelque chose malgré soi. Et c’est ce que je voulais évacuer, en les plaquant sur le mur gauche du texte. Celui qui entre est dos à ce mur, comme la tête sur la couverture.
Que retiens-tu de Cortázar ?
J’avais lu la prose de Cortázar, mais j’ai découvert sa poésie l’été quand j’ai commencé babil. Crépuscule d’automne, son ultime recueil, rassemble la production poétique de toute une vie dans une grande liberté par rapport à la chronologie, à l’invention de soi, à la langue. Plus intimement, Cortázar pour l’importance donnée au rêve et à son imaginaire, idée que je partage entièrement. Malgré la nostalgie de ces pages, une inspiration lumineuse les traverse que je voulais avoir auprès de moi comme on porte un talisman tout le long du voyage.
Raluca Maria Hanea, juin 2015
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