EdPP : « Je fleuris la terre ma robe » sort aux éditions du Petit Pois ; pourrais-tu nous dire tout d’abord à quelle place ce recueil s’installe dans ton écriture ?
Amandine Marembert : Du point de vue de mon parcours poétique, ce recueil se situe dans la continuité de mon travail d’écriture éphéméride, le plus souvent lié au potager. Je fleuris la terre ma robe est ainsi l’immédiate suite de mon triptyque publié en juin 2012 au Pré Carré, L’amour le jardin (collection Dazibao) et d’un inédit, Je ferme le froid dehors. De manière plus lointaine, des ascendances sont perceptibles dans Mon cœur coupé au sécateur (éditions Henry), Toboggans des maisons (coédition L’Idée Bleue/Cadex) et Il pleut dans la chambre cette nuit (éditions Polder). Dans ces livres, je relie – sans trop m’en apercevoir au cours de l’écriture – le quotidien des travaux au potager (et au jardin d’ornement) aux événements et sentiments vécus – amour, mort, naissance. Le jardin y apparaît comme un trompe-l’œil pour parler d’autre chose.
Que cache donc ce jardin alors ?
Dans ce recueil-ci, l’évocation des menus gestes du potager dit en réalité l’exaltation survenant à la venue du printemps, le corps et le cœur qui s’ouvrent et s’agrandissent à la sortie de l’hiver. S’exprime aussi la transmission des gestes à ma petite fille, la tendresse qui l’accompagne. Il s’agit alors d’énoncer une nouveauté dans la lumière, mais sans oublier la part sombre qui nous constitue, la noirceur que nous laisse la terre remuée sous les ongles, dans les lignes des paumes. Ce texte se situe donc à un point névralgique de mon écriture – la vie qui traverse le vécu du jardin et vice-versa.
Enfin, je voudrais dire que publier Je fleuris la terre ma robe aux éditions du Petit Pois revêt beaucoup de sens pour moi. C’est l’histoire d’une rencontre avec le travail d’un éditeur. Mais s’établit aussi une connexion entre mes poèmes qui parlent du potager et ce « petit pois » éditorial, cette graine qui germe lentement, qu’on regarde se développer avec patience et savoir-faire. Je crois mon texte bien semé et cultivé en cette terre que le lecteur explorera.
Ce texte est un « calendrier de la jardinière » nous dis-tu, quel rapport entretiens-tu avec cette activité et quel est le lien qui l’unit à ta poésie ?
Je fleuris la terre ma robe est un calendrier de la jardinière au fil des jours depuis les premiers signes du printemps. Chaque poème est une page d’éphéméride à arracher du petit bloc quotidien et à faire s’envoler dans le vent. Les gestes effectués au potager qui se réveille rythment la journée. Il s’agit de dire la renaissance du corps et du cœur à travers ce faire et ce défaire de la terre. Retourner le sol, le ratisser, le semer, le tasser, le désherber n’est pas si éloigné du travail d’écriture qui plante des lignes de mots, rature, cueille, arrache.
Métaphore d’un autre monde ?
Oui, en effet. C’est également une sorte de couture qui relie, reprise les mots, les herbes afin de créer des tissus qui habillent la terre, les êtres sur terre. S’échafaude alors une rêverie à partir des légumes et des fleurs qui poussent la porte de l’hiver et nous font baigner dans des couleurs, des odeurs, des touchers régénérants. On n’est pas loin non plus d’une salle de bains à ciel ouvert. Le végétal habite l’esprit dans ses noms variés. Il masse aussi les corps. Une nouvelle page se tourne. Une histoire renouvelée s’écrit. L’année nouvelle - celle de la belle saison - débute réellement. J’entretiens un rapport étroit, intime, fort, et profond avec le jardinage. Les mains dans la terre, c’est mon cambouis à moi. Pour respirer mieux et amplement, il m’en faut passer par là, pas seulement prendre un bol d’air. Je retrouve ainsi le souffle venu de mes ascendants - parents, grands-parents, arrière-grands-parents -, un oxygène indispensable.
D’autres auteurs t’ont-ils ouvert la voie vers ce sujet ?
Pascal Commère parle si souvent de cet arrière-plan qui nous fonde et ancre nos mots. Dans son dernier livre paru au Frau, Pris de froid, il écrit : « tout / ce qui // dans l’épais / du langage // parle // La terre. La matière tue » ; « Toute une part / d’ombre // venue / d’où // La terre // Le froid // d’un monde ancien / profond // (ce qu’on enfouit : / des « sombres ») ». Christiane Veschambre évoque aussi cela dans A propos d’écrire (Le Préau des collines, 2007) : « C’est en retournant, un soir, il y a longtemps, et en pensée, au chemin creux qui longeait la maison de ma grand-mère, chemin creux maintes fois parcouru dans mon enfance, que j’ai commencé à écrire ». Elle parle du « chemin creux où il faut descendre pour écrire ». Je me retrouve complètement dans cette analyse. Je pense également à Thierry Le Pennec dont le rythme des poèmes rejoint celui des journées dehors, à prendre soin des parcelles et du verger sous tous les ciels, à reprendre son souffle qui ahane.
Jardiner et écrire sont donc pour toi intimement liés…
Le jardinage - je le pratique, le rêve aussi - et l’écriture obéissent au même processus : préparer le sol / faire macérer les mots ; semer à la volée des graines / premier jet des mots ; dédoubler les plants, éclaircir /élaguer des mots ; arracher, désherber, ratisser / raturer, brouillonner ; regarder pousser, biner, sarcler / laisser reposer puis relire, réécrire, reprendre. La cueillette des fruits, légumes, fleurs correspondrait à la phase où le livre est publié et offert au lecteur. Cette activité journalière du jardin est pour moi indissociable de ma poésie. Elles se nourrissent l’une et l’autre. Avec les impondérables de la météorologie. Le travail du jardinier et celui de l’écrivain sont incertains, aléatoires, humbles face aux éléments. La patience et le soin, l’attention au détail sont de rigueur. Et j’aime la liberté que cela induit – on arrange son jardin et ses mots à sa façon. Aucun jardin ne ressemble à un autre.
Ce calendrier du jardinier, comment apparaît-il dans ta création ? Le jardinier jardine souvent avec la lune. Le poète écrit-il avec la lune ? Dans ma poésie, je suis les saisons mais façonne le temps comme j’aimerais qu’il soit dans la réalité (une grande élasticité, une lenteur, un aspect suspendu, une vie au jour le jour, un refus d’anticiper). L’écriture me donne un espace où je le rêve, en bouge les aiguilles pour les faire tourner à ma mesure, superposant à ma guise les époques à travers un motif. Aussi ce calendrier est un planning particulier, au sens où les légumes et les fleurs remplacent les cases des jours et des mois, mais de manière aléatoire. On y saute des pages pour tenter d’accéder à un autre espace temps. J’ajouterais même que la temporalité du jardin et celle du poème permettent d’habiter un lieu où le temps s’arrête. Le temps qui s’écoule – souvent très long – entre le début de la composition d’un texte et sa publication permet de poser autrement le regard. Souvent, les poèmes d’un même ensemble se publient dans leur chronologie d’écriture, mais celle-ci met à jour une autre chronologie, un temps revisité à travers ce qui a fait trace, a laissé sa marque. Le temps de l’écriture et de la lecture - on ne sait jamais trop quand cela commence et quand cela finit – me conviennent car, profondément mélancolique, je supporte mal ce qui s’achève. De plus le temps des mots permet de choisir ce sur quoi l’on s’attarde. Le souvenir que je garde d’un temps vécu est parfois enfermé dans les livres publiés et, l’aventure éditoriale étant ce qu’elle est, l’ordre de publication ne correspond pas forcément à l’ordre d’écriture. Donc les repères s’en trouvent brouillés et cela me sied parfaitement.
Photographie d'Amandine Marembert de Michel Durigneux.
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