Par ces temps de bavardage, vitesse et vertige jusqu’à la nausée — lire Angèle Paoli est une expérience de la lenteur. Une expérience du mouvement et de la fixité. C’est un jeu de contemplation. Un Je de patience. Avec ce miroir captant le réel de manière aléatoire, on pense d’emblée à une pièce chorégraphique ou musicale — en ce sens, les expériences menées conjointement par Merce Cunningham et John Cage en danse contemporaine, nous projettent dans l’univers d’Angèle Paoli.
En effet, beaucoup de choses les unissent, bien sûr dans un lieu autre et une temporalité différente. Les trois artistes ont cette obsession de l’espace. Ils observent la contingence des corps et des situations. Des corps qui se rencontrent ou pas sur le plateau, qui se rencontrent ou pas dans le miroir chez Paoli, des rythmes qui se font ou pas chez Cage. La danse comme variation infinie de l’espace. La musique comme variation infinie du temps. Le miroir comme variation infinie de l’être. Notons l’usage du slash ou du double slash comme une ponctuation cagienne qui joint et disjoint : « le paysage // a disparu // Noir // autour », « est-ce moi / j’ / ». Le rythme comme point d’articulation d’une parole qui fracture et réunit en même temps. Cette parole comme un bloc de granit qui penche au bord d’une falaise corse, quelque chose reste à dire avant la chute — chute qu’on ignore dans le temps et l’espace. La poète nous met face à nous-mêmes dans cette parole traversant librement le miroir. C’est pourquoi nous ne sommes pas forcément à l’aise et en sécurité contemplative dans ce recueil : « même circularité même labyrinthe ».
Ça tangue comme la paroi oblique du slash… le miroir est un point de fuite et d’ancrage, une expérience étrange où la sensualité du pays n’est pas absente mais lointaine. La beauté n’est pas un dépliant touristique. Il faut saluer la précision et la rigueur de l’écriture de Paoli. Sa performance est grande quand on choisit le hasard comme forme ultime de structure et de composition. La poésie et la danse, la poésie et la musique, la danse et la musique… on peut décliner les couples à l’infini — et pourquoi tous ces mots ? Quand un seul geste suffit — la grâce. Reste l’image qui appartient au miroir, le sens à chercher dans les facettes du miroir — facettes s’oubliant l’une l’autre, ce qui laisse une place à la liberté, bien suprême « la totalité du bleu ». L’écriture patiemment polie — un boomerang poétique qui apprend les rudiments de la langue avec un outil rudimentaire : « biseautage perceptible ». L’éternel retour de la Nuit. La Nuit, non pas comme un dénouement, mais comme notre nuit espérant le jour.
Merci Angèle Paoli pour ce miroir magnifique. De l’autre côté — notre passe-rêve continue le ciel. Nul immuable nulle imagination nous, comme les routes quand vient la fin.
Stéphan Causse, mars 2014.
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