Rodica Draghincescu est roumaine, comme son nom l’indique, mais il est toujours utile de préciser les choses simples par ces temps incertains, elle s’inscrit dans ce que d’aucuns ont appelé la « génération 90 », une famille d’écrivains anticonformistes qui fit son apparition après la chute du régime de Ceausescu, ce qui, d’ailleurs, leur valut quelques déconvenues puisque les journalistes adorent les raccourcis, et qu’ils leur parlent invariablement de cette période, oubliant jusqu’à l’essentiel, or un écrivain n’a que faire de son passé, de sa nationalité, de la politique et que sais-je encore, surtout lorsqu’il est poète, comme Rodica, une poète aérienne, une prêtresse de la langue dans ce qu’elle a de plus noble, sa fonction de transmettre, d’évoquer, d’inciter, de faire ressentir : Rodica est LA poète de l’oralité. Jamais vous ne ressentirez une telle émotion qu’à l’entendre psalmodier ses vers, lesquels, d’ailleurs, vous seraient reconnaissants de les lire à haute voix…
Perforante poésie ici magnifiée, tant par l’écrin que par le matériau premier, cette langue française si riche que l’on ne comprend toujours pas pourquoi tant d’écrivains la boude et la massacre. Quelques mots précis, justement positionnés dans un cortège lumineux, des jeux, des contrepieds et le message se retourne, l’émotion s’installe. Ventre noué l’on déambule dans ce livre qui est aussi un musée éphémère puisque la musique des mots ira le temps désiré porter réconfort ou morsure… Car elle sait très bien, Rodica, que tout est perdu, inexorablement, alors autant célébrer cette déconvenue que de s’accrocher inutilement : « Les pas de ceux qui nous ont perdus / ne nous suivent plus. / Ceux qui nous trouveront ont été engloutis par / ceux qui ne nous ont jamais trouvés. »
Elle sait aussi trouver la joie dans l’ombre qui domine, celles des chiens, par exemple, « qui attaque(nt) leurs maîtres / pour dire la haine », cette nouvelle religion qui semble devenir universelle, omniprésente… Alors ? Alors c’est bien dans la fuite que se trouvera l’issue, celle du plaisir des corps, du désir de l’autre dans un Je(u) flou à pratiquer jusqu’à épuisement : « Tu es le labyrinthe du brouillard, / le bleu désir qui ne contient rien, / le creux de l’inoccupé, de l’aride, du plat / le flou d’une géographie où il n’y a plus personne. » Car l’absence de tout, sens, valeur, chimère, amour, destin, cette vacuité offerte comme seul dogme contemporain de nos journées sans fin qui s’étirent tel un soap brésilien, est bien la pierre angulaire de notre destin : « En t’absentant, / je suis devenue ta chienne de lumière, / la nacreuse / aboyant attachée aux entrailles de la lune. »
Poèmes de l’errance et du manque, du doute et de l’attente, ils nous invitent à nous glisser entre Ra et rats, ambivalence des possibles…
Quand elle n’écrit pas, Rodica travaille, depuis son exil lorrain, à diffuser la littérature par le biais de la revue numérique qu’elle a fondée et qu’elle dirige, la très riche et très belle "Levure littéraire".
Une édition limitée comportant une gravure originale hors livre, signée et numérotée par Marc Granier, est aussi disponible sur le site de l’éditeur.
François Xavier
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