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Entretien avec Samuel Martin-Boche

Dernière mise à jour : 27 oct. 2020

à l'occasion de la sortie de Chemins de l'arbre, septembre 2020


Les éditions du Petit Pois : Vous vous apprêtez à publier votre prochain recueil Chemins de l’arbre aux éditions du Petit Pois. Est-ce que vous pourriez nous dire quel est le projet à l’origine de ce texte ?

Samuel Martin-Boche : Je ne pourrais pas dater précisément quand l’idée m’est venue ou à quel moment elle a pris cette forme. Au départ, il y a peut-être la redécouverte des dessins d’Alexandre Hollan, dans un livre d’Yves Bonnefoy que j’avais acheté étudiant (La Journée d’Alexandre Hollan, Yves Bonnefoy, Le temps qu’il fait, 1995), et la rencontre avec la photographie (à travers l’exposition d’Alain Cornu  « Les signes de la forêt » et « Arbres », il y a deux ans environ). L’émotion, plus ancienne, ressentie devant les Hanamis de Jean-Louis Magnet, sa mise en lumière et la fragmentation du motif. Le très beau texte de Christian Ducos Dans l’indifférence de l’arbre [Le Cadran ligné] a peut-être agi comme un révélateur… Mais je crois surtout que l’idée de l’ensemble m’est venue à travers les promenades (à pied ou en vélo) que je fais régulièrement le long du canal latéral à la Loire, bordé d’espèces différentes. D’un côté (sans hiérarchie) il y a donc un ressenti esthétique, la fréquentation d’une œuvre d’art (livre, dessin, etc.), avec l’envie d’en prolonger l’émotion, et de l’autre une expérience sensible, née de l’observation du quotidien. De là, le désir de faire des « portraits d’arbres », énigmatiques, facétieux, impressionnistes... avec ce parti-pris : l’arbre n’est pas lent et statique, c’est nous qui ne sommes pas assez rapides pour le voir. Plus tard, j’ai aussi cherché à me documenter (« La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben), par intérêt personnel.

Illustration de couverture de Chemins de l'arbre par Jean-Louis Magnet.


edPP : Le choix de cette forme à la fois épurée et contraignante qu’est le haïku a-t-il été guidé par quelque influence ou par une volonté particulière ?

Samuel Martin-Boche : Je ne suis pas un spécialiste du haïku, par contre c’est une forme dont j’admire la pratique, par la discipline qu’elle exige et l’impression de vérité, de « révélation » qui s’en dégage parfois. En dehors des textes classiques (Bashô, Buson, Ryôkan ou Issa), la lecture du Livre des haïku de Jack Kerouac a été une étape importante, avec ses images surréalistes, triviales, métaphysiques… Mon texte initialement était bien plus long et chaque poème se développait sur plusieurs strophes, avant de me décider à procéder à l’inverse et aller vers plus de densité et de concision. Mais je n’ai pas cherché à respecter toutes les contraintes du genre : mes tercets s’inspirent des « haïkus » mais tous n’en sont pas, à proprement parler.

edPP : De La Cognée à Chemins de l’arbre, le thème de l’arbre semble récurrent : d’où cela vient-il ? est-ce lié à votre environnement ou l’intérêt est-il symbolique ?

Samuel Martin-Boche : De mémoire, j’ai toujours été fasciné par les arbres, même si je ne sais pas nécessairement les reconnaître (ce qui traduit bien le manque de légitimité lié à ma situation, et amuse mes proches). Enfant, j’ai beaucoup joué dans les arbres, pendant les vacances (en Bretagne) ou dans le jardin. C’est un élément naturel pour moi lié à l’aventure, au secret, à l’évasion et à la liberté. Aujourd’hui leur présence, leur contact me rassurent. Ils sont des « intermédiaires vers l’inconnu » (Alexandre Hollan), qui nous laissent deviner « une vie plus grande », plus complexe. D’où un sentiment diffus de plénitude (qui n’exclut pas l’angoisse) devant eux. Ils incarnent un mystère, une présence et cristallisent différentes aspirations ou interrogations (beauté, quête de sens, apprentissage sensible...). J’habite en ville mais il y a près de chez moi de belles forêts de chênes, de hêtres et de résineux (Les Bertranges, Les Amognes, le massif du Morvan…), et en face une maison avec un haut cèdre un peu « dépenaillé » (dont la « conversation » muette est presque un rituel tous les matins). J’ai également sous les yeux un curieux noisetier au fond du jardin, très expressif. L’arbre figure peut-être la seule certitude qui me reste, à travers les années.


edPP : Vous citez Abdellatif Laâbi, et Karl Lubomirski en épigraphe de votre recueil. En quoi ont-ils pu guider votre écriture ?


Samuel Martin-Boche : J’ai découvert ces deux auteurs assez tardivement, à peu près au moment où je me suis mis à écrire. J’ai entendu un jour à la radio Abdellatif Laâbi lire un de ses poème (extrait du Spleen de Casablanca, Abdellatif Laâbi, La Différence, 1996), lors d’une interview. Son texte et sa voix ont trouvé en moi une résonance particulière et je me suis dirigé vers son anthologie personnelle L’arbre à poèmes (L’Arbre à poèmes (anthologie personnelle : 1992-2012), Poésie/ Gallimard, 2016), dans laquelle il interroge notamment la place de l’homme au sein de la nature. Quant à Karl Lubomirski, c’est au détour de la revue Rehauts, la première revue de poésie à laquelle je me suis abonné, que j’ai rencontré ses poèmes. À ma connaissance son œuvre est peu traduite ou disponible en français (Cendre et lumière, Karl Lubomirski, Arfuyen, 1997 (traduction Jacques Legrand)). Sa concision et sa force de suggestion ont laissé en moi une empreinte forte. Ses poèmes évoquent l’arbre, la forêt, l’exil, l’absence... avec une rare puissance et une grande économie de moyens. J’avais déjà choisi une citation de Lubomirski en exergue de La réfutation des oiseaux [Éd. La Porte], en lien avec le deuil et la nature. Pour Chemins de l’arbre, ces deux auteurs me sont donc assez rapidement venus à l’esprit, en raison de leur humanisme, mais aussi des thèmes auxquels ils sont attachés et plus précisément l’idée de mouvement qu’ils associent à l’arbre dans leurs textes.


edPP : Et d’une manière plus générale, quels sont les poètes dont vous vous sentez proche et qui vous touchent ?


Samuel Martin-Boche : Plutôt que les « incontournables » (de Charles d’Orléans… à Henri Michaux, pour rester dans le domaine français), je préfère citer des poètes contemporains, notamment ceux que j’ai plaisir à relire : Yves Bonnefoy ou Guillevic ont été importants, à une certaine période. Aujourd’hui comptent (dans le désordre) Nuno Jùdice, Jacques Ancet, Guy Goffette, Jean-Louis Giovannoni, Bernard Noël, Claude Margat, Jean-Michel Maulpoix, Patricia Castex Menier, Jude Stefan, Serge Pey, James Sacré, Lionel Ray, Valérie Rouzeau ou encore Anise Koltz… J’ai une capacité d’admiration très étendue. Il s’agit d’écritures très différentes, avec en commun une aspiration « à l’être », un questionnement sur l’existence et l’écriture. Pas d’école particulière, mais des « voix » singulières qui m’interpellent et nourrissent mes interrogations : soif d’absolu, quête de soi, etc. En règle générale, de toute façon, il n’y a pas un livre de poésie dont je ne retire un vers, un poème, une image.


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