Chaque jour qui commence ouvre l’étendue d’un nouveau territoire. À nous d’en transcender une traversée qui serait aveugle, rendue à la simple marche des heures. Devenons des marcheurs et arpentons ces espaces où l’être se laisse entrevoir par-delà l’épaisseur du quotidien, très loin des blessures qui ne veulent pas guérir. C’est ce que nous dit Angèle Paoli dans ses Carnets de Marche, une infinie promenade sur ses chemins familiers, dans ses maquis où la ligne du temps se résout dans l’apaisement du retour, la présence des lieux et des choses.
Avec sensibilité et sensualité, elle évoque au fil des saisons une contrée dont elle écoute les bruissements secrets, qu’il s’agisse du « mugissement régulier de la
mer », des « sonnailles en contrebas de la route » ou des « grésillements d’élytres affolés ». Elle observe les subtiles variations de couleurs, celles qui scandent la permanence d’un paysage à travers leurs changements à peine perceptibles. Ainsi la mer, « vert-de-gris, émeraude violine », ou encore « gris sur gris en travers du sentier de la Leccia ». Elle hume la multiplicité de parfums et d’odeurs qui tracent le périmètre de lieu, en permettent la reconnaissance instinctive, viscérale. Résine, charogne ou urine… Elle touche les feuillages comme la toison drue des chevreaux croisés au détour d’un sentier.
Angèle Paoli nous emmène à la découverte d’un corps-paysage. Un corps aux replis ombreux, aux formes douces, parfois grumeleuses, le corps d’une mère-terre où rejoindre les origines, où se retrouver quand rien ne va plus, de l’autre côté, dans l’univers d’asphalte et de pierre. Un passé très ancien y reste inscrit pour qui sait le déchiffrer.
La promenade ramène toujours aux abords de l’enclos, centre récurrent de ces carnets, un enclos qui n’enferme pas, espace protecteur, sanctuaire de l’essentiel. Devant la cheminée où dansent les flammes d’un feu d’hiver, l’enclos demeure au même moment, là-bas dans le maquis assombri, avec ses odeurs de terre et de feuilles.
« Franchiras-tu l’enceinte sacrée, fouleras-tu silhouette fragile l’aire de terre battue ? Une première porte une autre béant noir au-delà de l’enclos oseras-tu t’avancer ? Tu restes droite sur le seuil tu tournes autour de l’antique demeure… »
La géographie d’Angèle Paoli est intérieure, comme le rappelle son « Hanging Rock » australien, un des repères de promenade favoris. Et son enclos est lui aussi intérieur, la figuration du versant qui s’entrouvre si l’on est attentif, épris de ses frémissements et de sa vie presque muette.
Le monde des humains, sa rumeur et ses remous ne sont pourtant pas absents. Il s’inscrit en sourdine au creux de ses paysages, dont la promesse est ainsi rendue plus grande. Angèle Paoli nous offre ici un très beau texte vibrant d’émotion et de délicate attention aux choses et aux êtres. D.R. Cécile Oumhani Texte publié sur le site de la Levure Littéraire, janvier, 2011.
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